" - Bonjour, je suis la Sage-Femme de garde, je viens à la demande de Maud qui sollicite mon avis sur la présentation de votre bébé, est-ce que vous m'autorisez à vous examiner ?
- ...???
- C'est primordial que j'obtienne votre accord, m'autorisez-vous à vous examiner ?
-...?????"
Mon cortex, en veille depuis mon arrivée à la Maison de Naissance (à peu près deux heures) se reconnecte juste le temps de s'étonner.
Hein ? Quoi ? Elle me demande mon accord et visiblement, elle l'attend pour passer à l'acte ???? Heuuu, c'est que je n'ai jamais été habituée à ça moi, je suis, comme qui dirait, un peu désarçonnée là... La coutume c'est plutôt "bon ! je vais vous examiner" et la phrase à peine finie -pour les cas où elle est prononcée, ce qui n'est pas systématique- HOP ! on se retrouve avec un index et son copain le majeur à se faire fouiller l'intimité sans avoir eu le temps de se poser la question de savoir si on voulait vraiment ce qui nous arrive...
Elle attend. Calme, douce, posée, attentive, respectueuse. Elle attend. Elle s'exécutera quand je lui aurai donné mon aval, tout simplement. Une grande première pour moi qui mets au monde mon 7° enfant.
Bon. Elle confirme le diagnostic de Maud.
Merde...
C'est la merde.
La grosse merde même...
Les diverses manoeuvres manuelles pour aider la tête de mon bébé à se défléchir ont échoué et mes connaissances en la matière sont suffisantes pour me faire comprendre que l'on peut d'ores et déjà dire au revoir à la Maison de Naissance, mais elle m'explique tout quand même. Le gynécologue de garde est en route, le transfert peut avoir lieu...dès que je m'y sens prête.
-...???
Cortex en nouvelle reconnexion : "ha, oui, bon, c'est moi qui décide quand je monte sur le brancard, d'accord, ok, bon, ok, on y va alors..."
Le temps d'ouvrir deux portes et de passer un couloir et on est à la maternité. La Sage-Femme et l'infirmière de garde préparent le matos, Maud fait ce qu'elle peut pour les aider dans des locaux qu'elle ne connaît pas. Mon Grand Fou est tout près de moi, les traits tirés par la tournure que prend cette naissance qui semblait pourtant bien partie (travail très rapide et très peu douloureux) Moi, je préfère ne plus penser, je me sens juste anéantie. Je sais ce qui m'attends, penser ne m'est d'aucun secours...J'attends. Trois quarts d'heure de poussées inefficaces et le diagnostic expliquant la-dite inefficacité des mes efforts expulsifs pourtant d'une extrême intensité ajouté au fait que je me retrouve face à la hantise qui m'a habitée dès que j'ai appris ma grossesse (à savoir : que ça se finisse en eau de boudin) ont eu raison de moi. J'attends...
L'infirmière me dit bonjour, se présente, me demande l'autorisation de poser une voie veineuse.
-...???
Elle réitère sa question.
Bigre, elle aussi attend mon consentement avant d'oeuvrer...ça alors !!!
Je lui donne mon accord. Elle pose et sert le garrot. Argh, une contraction arrive...
Elle desserre aussitôt le garrot : pas la peine de subir deux choses désagréables en même temps dit-elle, on va attendre que la contraction passe, c'est mieux pour vous.
Je suis sciée !!
Et effectivement, elle attendra la fin de la contraction pour poser le cathéter sans oublier de me redemander une fois encore mon accord.
Je suis impressionnée !
(Pour mon 5° accouchement, je suis arrivée à dilatation complète à la clinique, j'ai dit haut et fort que je ne voulais aucune perfusion de quoi que ce soit, l'infirmière me piquera PENDANT une contraction avec effort de poussée, histoire que je ne puisse me défendre correctement de la violence qu'elle me faisait en s'asseyant sur mon consentement...Voyez un peu le décalage...!)
Ça s'agite drôlement autour de moi, je m'absente de moi-même comme je peux. Ne pas penser. Le matos pour la ventouse est prêt. Ne pas penser. Elles installent l'appareil à échographie indiquant que la césa en urgence est fortement envisagée. Surtout ne pas penser. Gémir, contracter et gémir encore, sentir ma main dans celle de l'homme que j'aime, sentir sa peine, son impuissance et sa présence qui demeure forte malgré tout. Maud sort dans le couloir pour s'entretenir avec le gynéco de garde qui vient d'arriver. Ne pas penser. Accepter. Me résigner. C'est comme ça et c'est tout. Tu te retrouves face à la gueule moche de cette peur qui t'as noué l'estomac à chaque fois qu'elle t'a effleuré l'esprit ces derniers mois, face à ce que tu craignais le plus. Ton vécu de la naissance se terminera comme il a commencé il y a dix-huit ans : comme une longue torture. La même note douloureuse. Exit la fin heureuse. Morts les espoirs d'une dernière naissance idéale et sublime comme la 6° fois, cette fois sur laquelle, justement, tu tenais absolument à t'arrêter avant que ce bébé farceur ne s'invite en toi. Fini. Out. C'est ainsi. Inutile de penser. Encore moins de lutter. Même pas envie d'essayer...à quoi bon ?
Je suis avachie, affalée. Au sens propre comme au sens figuré. Je laisse mon corps souffrir et mon esprit divaguer dans le désespoir qui le submerge. Je me tais. Je dois faire pitié à voir. J'ai de moi l'image d'une bête aux abois qui souffre et qui attend que son heure vienne, totalement résignée et triste, si triste que ça finisse ainsi, qui ne comprend pas et qui attend l'estoquade qui mettra fin à ses souffrances.
C'est donc dans une stupéfaction totale et toute intérieure que j'ai senti en moi arriver avec une fulgurance hors du commun cette sensation de pression comparable à nulle autre. Sensation de pression terrible accompagnée instantanément de celle, elle aussi comparable à nulle autre, de brûlure...
???????
??????
???????
???????
???????
Hein ???
Quoi ???
Mon corps se remet à pousser de lui-même, contre toute attente, il semblerait que mon bébé ait enfin trouvé sa voie : c'est parti ! Et ça prend l'allure du plus dingue des grands 8 où, après avoir poireauté 45 minutes pour monter dedans, on passe de 0 à 200 km/h en quelques secondes ! Le machin au sujet duquel je dis "moi ? Monter là-dedans ? Jamais !"
Hasard ou pas mais mon amoureux choisit cet instant même pour me dire avec une infinie tendresse : " Allez ma belle, essaie de pousser encore une fois...!"
Vais pas me faire prier, ha ça non ! De toute façon, je n'ai presque rien à faire sinon accompagner : ça pousse tout seul et très, très fort !
Il n'a pas fini sa phrase qu'il sent à mon attitude qu'il se passe l'improbable. Je suis absente à l'extérieur, toute en dedans avec mon bébé, allongée sur le côté gauche. D'instinct, ma cuisse droite s'ouvre légèrement. Il voit la tête sortir très, très vite, le petit nez de son petitou pointé vers les étoiles. Il interpelle la Sage-Femme qui hoquette de surprise en avisant ce qui se passe et puis, avec précipitation, appelle Maud toujours dans le couloir avec le gynéco ( sur le coup, Maud a eu envie de lui répondre avec colère : "tu te moques de moi ? Si c'est une blague, elle est pas drôle !!!")
Elle aurait pu ne pas appeler ma Sage-Femme et finir elle-même d'assister mon accouchement. Après tout, j'avais été transférée à la maternité où elle se trouvait être de garde ce soir-là, non ? Non. Son premier geste sera de se mettre en position, juste au cas où les choses aillent encore plus vite qu'il y paraissait et d'appeler Maud qui aura juste le temps de mettre des gants, de cueillir et poser sur mon ventre ma fille.
Le gynéco aurait pu, lui aussi, finir d'assister mon accouchement. C'est vrai quoi, on l'a fait se déplacer à 23 heures, il est là, il fini le boulot, non ? Et au passage envisager une belle épisio parce que c'est sûr, vu le diamètre que le bébé impose à mon périnée du fait de sa présentation vraiment peu courante (moins de 1%), ça va déchirer. Bé non. Mon cerveau dans le flou m'a laissé le souvenir d'un grand Black debout, en retrait, toujours vêtu en civil qui me dira juste "Allez-y Madame, poussez !" (mais une fois encore, vais pas me faire prier, ha ça non !) et que je ne verrai même pas partir tant il a été discret dans sa présence.
Non.
La Sage-Femme de garde comme le gynéco laisseront à Maud la place que JE lui ai donné, celle de m'assister pour mon accouchement.
Ils nous laisseront entre nous aussi rapidement que possible faire connaissance avec notre petite merveille, me bichonneront, me donneront des tonnes de couverture quand, peu après la naissance, je serai incapable de parler tant je tremble de froid et claque des dents (et diront au passage au Grand Fou que ce que mon corps exprime là, c'est la résultante de l'effort physique fourni pour faire naître notre enfant : toute mon énergie y est passée et je mérite une médaille :o)))) Trois quart d'heure plus tard, ma Fin Folle dans les bras, mon amoureux à mes côtés, je retournerai finir la nuit dans le grand lit de la maison de naissance. Les filles continueront malgré tout à me bichonner en m'apportant des trucs frais à manger. De quoi faire une orgie !
Ils sont vraiment extras dans cette maternité ! Tellement extras que je pense sincèrement que même si l'issue de la naissance n'avait pas été si heureuse, même si j'avais eu droit à la ventouse ou même la césa en urgence qui m'a pendu fort au nez pendant un moment, ben il se peut que je l'usse bien vécu, sans traumatisme, sans regret, sans colère. Pour la simple et bonne raison qu'à chaque instant, je suis restée celle qui choisissait en conscience, celle qui disait oui avant que chaque geste soit posé, celle a qui on s'est donné la peine d'expliquer les choses, d'exposer les faits et les solutions possibles, celle a qui on a laissé le temps d'intégrer l'information, la digérer et donner son plein accord sur les gestes à faire pour sortir de l'impasse. Celle qui est restée actrice de sa naissance, tout simplement.
J'en discuterai avec Maud quand elle viendra à la maison pour manger du Paris-Brest arrosé d'un bon canon pour les suites de couches, elle me dira que le respect avec lequel j'ai été traitée durant cette naissance aux allures de montagnes Russes, c'est LA politique de la maison.
Ma première naissance a suffit à elle seule à me mettre dans une profonde colère vis-à-vis des équipes soignantes en milieu obstétrical, une colère sourde et tenace d'où suintait le rejet en bloc de leurs méthodes inhumaines imposées aux femmes; la 7°, tel un grand souffle, a tout apaisé.
À croire que cette enfant s'est invitée pour ça (en plus de nous rajouter une couche d'Amour supplémentaire, des fois qu'on en manque :D )
Donc, oui ! C'est possible de pratiquer autrement, dans l'écoute et le respect. Oui, c'est possible de laisser les femmes actrices de leur accouchement quelqu'en soit le déroulement !
Bon...Alors qu'est-ce qu'ils attendent les autres ??
Voilà un bout de ce que j'avais à exprimer sur mon vécu de cette naissance de fous, un bonus émotions en tout genre est en gestation ;)